Le brevet européen à effet unitaire va entrer en vigueur à la fin de l’année. Mais concrètement, quels seront les changements par rapport au brevet européen classique que nous connaissons ? Avant de répondre à cela, faisons un petit rappel du système actuel d’obtention des brevets.
Supposons tout d’abord qu’une société A, dont le siège se situe en France, désire protéger une innovation technique d’un produit P en Europe. La société A souhaite commercialiser son produit P assez largement en Europe, en particulier dans les 27 pays de l’Union européenne (UE), et hors UE, au Royaume-Uni et en Suisse. Actuellement, deux voies existent en Europe pour la protection des inventions techniques, la voie nationale et la voie européenne.
La voie nationale consiste à déposer une demande de brevet auprès de chaque office national des 29 pays pour lesquels une protection est recherchée. Pour chaque pays, il est généralement nécessaire :
Une procédure typique de délivrance d’une demande de brevet national se délivre de manière suivante :
Ainsi, la société A va devoir faire face à des coûts de traductions, de représentation et de taxes qui vont très rapidement augmenter avec le nombre de pays dans lesquels la société recherche une protection.
Une fois que le brevet a été délivré, si la société A découvre que l’un de ses concurrents, la société C, contrefait sa demande de brevet en commercialisant un produit R dans les 29 pays dans lesquels la société A a obtenu une protection, la société A devra intenter une action en contrefaçon dans chaque pays sur la base du brevet national associé et uniquement pour les faits s’étant produit sur le territoire de ce pays. Ici encore, pour chacun des pays, la société A va devoir faire face à des coûts de procédure et de représentation.
La voie européenne consiste à déposer une demande de brevet auprès d’un seul office, l’Office Européen des Brevets (OEB). Actuellement, l’Organisation Européenne des Brevets comporte 38 pays membres dont le Royaume-Uni, la Suisse et l’ensemble des pays de l’UE. Dans le cadre d’une procédure auprès de l’OEB, il est nécessaire :
La société A dont le siège se situe dans un des pays membres de l’Organisation Européenne des brevets, il ne lui est pas nécessaire de se faire représenter, même si cela est conseillé compte tenu de la complexité des procédures.
Si le montant des taxes perçues par l’OEB est généralement plus élevé que celui des taxes perçues par les offices nationaux, le montant reste bien inférieur au cumul de ces taxes. La société A réalisera donc de substantielles économies par rapport aux 29 voies nationales évoquées précédemment. Ci-dessous quelques exemples de taxes a acquitter (en €) :
Office brevet | Taxe de dépôt | Taxe de recherche | Taxe d'examen | Taxe de désignation | Taxe de délivrance |
---|---|---|---|---|---|
EPO | 130 | 1 390 | 1 750 | 630 | 990 |
FR | 26 | 520 | - | - | 90 |
Office brevet | EPO | FR |
---|---|---|
Taxe de dépôt | 130 | 26 |
Taxe de recherche | 1 390 | 520 |
Taxe d'examen | 1 750 | - |
Taxe de désignation | 630 | - |
Taxe de délivrance | 990 | 90 |
Néanmoins, ces économies sont limitées à la procédure de délivrance. En effet, une fois le brevet européen délivré, la société A va devoir valider son brevet européen dans chacun des pays dans lesquels elle souhaite une protection. Ainsi, selon les pays il peut être demandé :
Une procédure typique de délivrance d’une demande de brevet national se déroule donc de la manière suivante :
Pour les actions en contrefaçon rien ne change par rapport à la voie nationale, la société A devra intenter une action en contrefaçon dans chacun des pays sur la base du brevet européen validé dans le pays. La société A devra donc toujours faire face à des coûts de procédure et de représentation dans chacun des pays. Le brevet européen est ainsi considéré, non pas comme une entité unique, mais plutôt comme un faisceau d’entités dont la validité, la limitation, la révocation, la cession, la concession de licence et la contrefaçon sont traitées de manière complètement indépendante. On parle de parties nationales du brevet européen, par exemple, la partie française du brevet européen en France, la partie Allemande du brevet européen en Allemagne, etc.
Ces coûts importants dissuadent généralement les entreprises de protéger leurs inventions dans l’ensemble des pays européens. Ainsi, en moyenne, les brevets européens sont uniquement validés dans 4 pays.
Le brevet européen à effet unitaire vise à poursuivre la rationalisation des coûts initiés par le brevet européen, cette fois-ci après délivrance du brevet en centralisant la procédure de maintien en vigueur ainsi que l’action en contrefaçon.
Le brevet européen à effet unitaire vise à instaurer une juridiction commune en matière de brevet aux pays membres participants. En résumé, un seul tribunal est compétent pour l’ensemble des pays. Pour qu’une juridiction unifiée puisse être mise en place, il faut que dès l’origine les différents pays disposent d’une coopération juridictionnelle évoluée. Ainsi, seuls les pays de l’UE peuvent être partis aux accords.
À l’heure actuelle, tous les pays de l’UE, à l’exception de la Croatie, de l’Espagne et de la Pologne, ont signé l’ensemble des accords. Pour que ces derniers entrent en vigueur dans l’un des pays partis aux accords, il est nécessaire que ce pays ait préalablement ratifié ces accords. À ce jour, 17 pays sur 24 ont ratifié les accords. Les derniers pays devraient ratifier les accords dans les mois à venir, mais il est possible que certains pays n’intègrent le dispositif qu’après l’entrée en vigueur de celui-ci. La carte ci-dessous représente les pays membres de l’Organisation Européen des Brevets, et parmi eux, met en lumière les pays membres de l’UE, les pays signataires des accords, et les pays ayant ratifié les accords.
Ces accords concernant uniquement la procédure post-délivrance du brevet, l’ensemble de la procédure de délivrance du brevet européen telle que nous la connaissons reste identique.
Pour les pays qui ne sont pas partis à l’ensemble des accords, c’est-à-dire les pays hors UE, mais également la Croatie, l’Espagne et la Pologne, la procédure post-délivrance reste identique également.
Pour les pays partis à l’ensemble des accords, il sera possible pour le breveté de requérir un effet unitaire pour son brevet. Et il s’agit bien ici d’une option. Le breveté peut tout à fait décider de valider son brevet dans les pays de son choix de manière traditionnelle. Pour que le brevet européen ait un effet unitaire :
Aucune autre formalité ni taxe à acquitter n’est à prévoir dans les pays participants.
Une aide de 500 € destiné à supporter les frais de traduction est également prévue pour les personnes physiques, les petites ou moyenne entreprise (PME), les organismes à but non lucratif (OBNL), les universités, les organismes de recherche publics, qui ont leur domicile ou leur siège dans un pays de l’UE, et qui ont déposé leur demande de brevet dans une langue officielle de l’UE autre que l’allemand, l’anglais ou le français.
Une procédure simplifiée est également prévue pour l’enregistrement des licences ou de la cession du brevet.
Comme précédemment, le montant des taxes perçues par l’OEB est généralement plus élevé que celui des taxes perçues par les offices nationaux, mais ce montant reste toujours bien inférieur au cumul de ces taxes. Le breveté fera donc des économies substantielles en ce qui concerne les taxes et les frais de représentation. L’OEB estime qu’opter pour l’effet unitaire devient intéressant à partir de 4 pays. Ci-dessous quelques exemples de taxes annuelles a acquitter (en €) :
Année | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
EPO | - | 35 | 105 | 145 | 315 | 475 | 630 | 815 | 990 | 1 175 |
FR | - | 38 | 38 | 38 | 38 | 76 | 96 | 136 | 180 | 220 |
Année | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 17 | 19 | 20 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
EPO | 1 460 | 1 775 | 2 105 | 2 455 | 2 830 | 3 240 | 3 640 | 4 055 | 4 455 | 4 855 |
FR | 260 | 300 | 350 | 400 | 460 | 520 | 580 | 650 | 730 | 800 |
Année | EPO | FR |
---|---|---|
2 | 35 | 38 |
3 | 105 | 38 |
4 | 145 | 38 |
5 | 315 | 38 |
6 | 475 | 76 |
7 | 630 | 96 |
8 | 815 | 136 |
9 | 990 | 180 |
10 | 1 175 | 220 |
11 | 1 460 | 260 |
12 | 1 775 | 300 |
13 | 2 105 | 350 |
14 | 2 455 | 400 |
15 | 2 830 | 460 |
16 | 3 240 | 520 |
17 | 3 640 | 580 |
18 | 4 055 | 650 |
19 | 4 455 | 730 |
20 | 4 855 | 800 |
En reprenant l’exemple de la société A, quelles vont être ses options ? Une première option pour la société A est de ne rien changer à ses habitudes et de continuer à valider un brevet européen classique dans chaque pays indépendamment. Mais comme nous l’avons expliqué précédemment, cette manière de procéder peut s’avérer très coûteuse. Deuxième option, la société A peut requérir un effet unitaire. Seulement, pour le Royaume-Uni et la Suisse qui sont hors UE et la Croatie, l’Espagne et la Pologne qui ne participent pas, il ne sera pas possible de faire autrement que la validation traditionnelle. Pour les autres pays, à supposer qu’ils aient tous fini par ratifier les accords, la procédure sera unifiée auprès de l’OEB.
La procédure relative au brevet européen sera donc la suivante :
Une fois l’effet unitaire requis, le brevet européen est, contrairement au brevet européen classique, regardé pour l’ensemble des pays participants comme une seule entité. Ainsi, la validité, la limitation, la révocation, la cession ne peuvent intervenir que pour l’ensemble des pays participants. Il est néanmoins toujours possible de concéder des licences pays par pays.
Les litiges relativement à ces brevets à effet unitaire seront de la compétence exclusive de la nouvelle Juridiction unifiée du Brevet (JUB) qui sera composé d’un tribunal de première instance, d’une cour d’appel et d’un greffe. La JUB disposera de juges qualifiés sur le plan juridique et de juges qualifiés sur le plan technique, ces derniers faisant souvent défaut dans les juridictions nationales. L’objectif annoncé est triple :
Ici encore des économies substantielles seront réalisées par le breveté en ce qui concerne les taxes et les frais de représentation.
Il est à noter que la JUB sera également compétente pour les parties nationales des brevets européens classiques validés dans un ou plusieurs des pays participants. Pendant une période transitoire de 7 ans, qui pourra être renouvelée 1 fois, il sera néanmoins possible au breveté de déroger sur requête à cette compétence (opt-out) de manière à engager une action devant les juridictions nationales. Cette requête en dérogation pourra être formulée :
Il est impossible de déroger à la compétence de la JUB pour les brevets européens à effet unitaire.
La requête en dérogation au greffe de la JUB devra être formulée au plus tard un mois avant l’expiration de la période transitoire.
Il est possible à tout moment de requérir de nouveau la compétence de la JUB (opt-in) au greffe de la JUB à condition qu’aucune action n’ait déjà été engagée devant une juridiction nationale.
Le brevet européen à effet unitaire devrait être mis en place à la fin de l’année. Il vise à rendre plus attractive la protection par brevet dans l’UE. Parmi les membres de l’Organisation Européenne des Brevets, qui compte 38 pays actuellement, seuls les 27 pays membres de l’UE sont concernés par le dispositif. Pour les autres pays, rien ne change par rapport au système actuel. 17 pays de l’UE sont, à ce jour, prêts pour le lancement du brevet européen à effet unitaire, et 7 autres pays devraient rejoindre le dispositif assez rapidement. Les seuls pays de l’UE ayant pour le moment refusé d’y participer sont Chypre, l’Espagne et la Pologne. La centralisation des formalités administratives se fera auprès de l’OEB et permettra de réduire de manière importante les coûts relatifs aux taxes et aux agents brevets pour les entreprises. Les litiges seront quant à eux centralisés auprès de la JUB. Les procès ne devraient pas durer plus de deux ans et l’aspect économique devrait une fois de plus être favorable aux entreprises. Le principal inconvénient pour le breveté est qu’une fois annulé devant la JUB, le brevet européen est annulé pour l’ensemble des pays de l’EU participant au dispositif. Auparavant, la nullité ne s’appliquait que pour le pays dans lequel elle était prononcée. Reste à voir si les entreprises répondront favorablement.
JUB : Juridiction Unifiée du Brevet
OEB : Office Européen des brevets
OBNL : Organisme à but non lucratif
PME : Petite ou Moyenne Entreprise
UE : Union Européenne
AL : Albanie
AT : Autriche
BE : Belgique
BG : Bulgarie
CH : Suisse
CY : Chypre
CZ : République tchèque
DE : Allemagne
DK : Danemark
EE : Estonie
ES : Espagne
FI : Finlande
FR : France
GB : Royaume-Uni
GR : Grèce
HR : Croatie
HU : Hongrie
IE : Irlande
IS : Islande
IT : Italie
LI : Liechtenstein
LT : Lituanie
LU : Luxembourg
LV : Lettonie
MC : Monaco
MK : Macédoine du Nord
MT : Malte
NL : Pays-Bas
NO : Norvège
PL : Pologne
PT : Portugal
RO : Roumanie
RS : Serbie
SE : Suède
SI : Slovénie
SK : Slovaquie
SM : Saint-Marin
TR : Turquie